Qu'est-ce qu'un auteur ? [Texte imprimé] : révision d'une généalogie / M. Roger Chartier

Conférence donnée le 20 mai 2000

Notes bibliogr.

En ces dernières années, deux trajectoires intellectuelles se sont rencontrées. D'une part, les disciplines dont l'objet est la critique et l'interprétation des textes (histoire de la littérature, histoire des sciences, histoire de la philosophie) ont fait une place plus importante à l'historicité des opérations et des acteurs qui sont impliqués dans le processus de production, de transmission et d'appropriation des oeuvres. D'autre part, l'histoire culturelle, qui est histoire des objets et des pratiques, a fait retour aux textes et aux oeuvres y compris les plus canoniques. De là, une rencontre inventive fondée sur l'attention portée à l'histoire des lectures et des interprétations, aux formes matérielles de l'inscription et la transmission des textes, aux contraintes qui gouvernent les modalités de leur composition et de leur circulation. C'est à partir du croisement entre critique textuelle et histoire culturelle que cette conférence réévaluera les propositions faites il y a trente ans par Michel Foucault dans une conférence faite devant la Société française de philosophie, Qu'est-ce qu'un auteur ? Ce texte devenu fameux posait la question des mécanismes par lesquels un nom propre est assigné à certains textes et non pas à d'autres - ce que Foucault désignait comme la « fonction auteur ». Pour comprendre comment « la fonction auteur est caractéristique du mode d'existence, de circulation et de fonctionnement de certains discours à l'intérieur d'une société », il indiquait deux mécanismes et deux moments historiques essentiels : le temps (qui correspondait selon lui à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle) où des « règles strictes ont été établies sur les droits d'auteurs, les rapports auteur-éditeur, les droits de reproduction » et le temps (antérieur mais non daté) lorsque « les textes, les livres, les discours ont commencé à avoir réellement des auteurs, autres que des personnages mythiques, autres que des grandes figures sacralisées et sacralisantes, dans la mesure où l'auteur pouvait être puni, c'est-à-dire dans la mesure où le discours pouvait être transgressif ». En prenant appui sur les travaux récents (menés par moi ou par d'autres) qui ont été consacrés à la construction philosophique et esthétique de la catégorie de copyright, aux dispositifs des censures d'Église et d'État, aux continuités et aux ruptures qui caractérisent le passage du manuscrit à l'imprimé et aux mutations de la culture écrite et des formes du livre à la fin du Moyen Âge, cette conférence proposera de reconsidérer la trajectoire dessinée par Foucault à partir d'une autre hypothèse : celle qui comprend la construction de la « fonction auteur » comme la progressive attribution à certaines oeuvres en langue vulgaire de caractéristiques longtemps réservées aux seuls ouvrages des auctoritates. Elle voudrait ainsi marquer, à la fois, la pertinence de la question posée en 1969 et la possible révision des réponses qui lui étaient alors apportées

Résumés en français et en anglais