Idéologie et dialectique dans l'histoire de la musique au XXe siècle [Texte imprimé] /
M. Hugues Dufourt
- 1 vol. (31 p.) ; 24 cm
Conférence donnée le 24 janvier 1998
Notes bibliogr.
L'ésotérisme de la musique savante depuis Strauss n'a cessé de s'accuser, creusant un écart grandissant entre l'art avancé et son public. La musique expressionniste - celle de Schönberg en particulier - se partage entre une histoire éprouvée comme destin et une liberté subjective vouée aux accidents de la vie intérieure. Nihilisme et anonymat, oppression et facticité pure, nécessité et éparpillement sont la marque d'une production musicale progressivement coupée de sa dynamique sociale. Après 1945, la musique d'avant-garde se donne pour une recherche et obéit au rythme et aux exigences d'une révolution épistémologique permanente. Ayant renoncé à l'idée même de création artistique, elle ne propose plus qu'une « sémantique sans sujet » et s'épuise à défendre un rigorisme formel et technologique face aux assauts redoublés de la musique populaire. La musique post-moderne des années 80 a cru pouvoir rivaliser avec l'industrie culturelle en renonçant à toute ambition progressiste. Elle cultive les dialectes et retourne à une sorte de populisme réaliste. La musique d'Alfred Schnittke, d'Arvo Pärt ou d'Henrik Mikolaj Gorecki ne représente à cet égard qu'un art stalinien recyclé en Occident sous un emballage spiritualiste. Le langage arriéré de la musique post-moderne et le langage avancé de la recherche musicale ont pourtant des traits communs. Le nouveau « style mondial » de la musique cultivée juxtapose ou mêle les saccades d'un discours fragmentaire et le déroulement objectif d'un processus. Le « décisionnisme » et « l'adaptation exhibitionniste », selon l'expression de Peter Bürger, expriment l'extirpation subjective de toute conscience de classe. Aujourd'hui la distinction entre art savant et divertissement, entre recherche musicale destinée à une élite et musique commerciale tend à s'estomper en faveur d'un nouveau syncrétisme. La musique savante, ostensiblement dépouillée de sa légitimité, capitule devant l'émergence d'un mouvement sorti des profondeurs, émanant du grand nombre et exprimant des aspirations collectives qui sont à prendre en compte comme un aspect moins apparent mais non moins déterminant de la modernité. Ce mouvement - qui inclut le rap - est aussitôt absorbé et neutralisé par l'industrie de la culture de masse. L'impuissance à se dialectiser dont souffre la musique du XXe siècle en général tient au hiatus socio-culturel qui sépare musique populaire et musique savante. Ce clivage s'exprime, dans l'une comme dans l'autre, par la juxtaposition d'un logicisme pur - qui emploie des expressions dont aucune règle n'a défini le sens - et d'un pragmatisme pur - qui n'accède pas non plus au caractère coordinateur et stabilisateur des fonctions de langage. Musique populaire et musique savante s'opposent comme la singularité immédiate et la ratiocination formelle. Elles se rejoignent dans un commun déficit symbolique qui est le propre d'un art qui ne parvient pas à l'unité concrète de la médiation